C'est un très grand film qui nous vient de là-bas, la Tunisie, mais ça pourrait être d'ailleurs, parce que dans le monde où nous sommes, nous côtoyons tous les jours les déracinés de notre temps, les errants qui se demandent à chaque instant ce qu'ils font ici ou là, victimes innocentes ou lucides de tous les bouleverse-ments qui, depuis des siècles, ont dérangé des peuples qui vivaient en paix.
«L'Ombre de la terre» est l'oeuvre d'un cinéaste tunisien, Taïeb Louhichi, qui a le talent au bout de sa caméra et son peuple à fleur de peau. un poète savant, un conteur éclairé. Il fallait voir comment, aux Journées cinématographiques de Carthage, le public de Tunis s'écrasait d'impatience à l'entrée des salles où l'on projetait ce film pour la première fois.
Or, il ne s'agit que d'un long poème douleureux, racontant l'histoire d'une communauté nomade, isolée, vivant dans un campement , aux confins d'un terrain frontalier. Quatre tentes, une bergerie, un patriarche, son fils et les neveux et leurs familles. Et frappe le "mal", sinon le malheur... Et encore: le grain s'épuise, le troupeau dépérit atteint par un virus inconnu, et il faut bien que les jeunes hommes partent vers le "nord", autrement dit l'exil provisoire ou définitif. On s'engage dans les armées étrangères, on peut y mourir aussi, pour d'autres.
Le "pouvoir" central n'est pas forcément des meilleurs qui soient. Le "patriarche" et la femme de son fils restent seuls dans ce campement tragique. Un peu plus tard, dans la "capitale", la jeune femme recevra le cercueil de son époux, mort au loin, on ne sait pour les besoins de qui. Il ne reste que la nudité des sables, et un soleil brûlant, même quand il se couche.
Nous sommes assez loin des contes arabes et de leurs légendes. Taïeb Louhichi se sert des symboles classiques pour nous transporter dans une réalité plus grave, plus quotidienne: la destruction des communautés
L'ombre de la terre : un cri, un chant, un poème...
par les invasions,les fronières imposées, les humiliations, les détresses matérielles es et physiques, l'attrait d'un " Occident" qui n'est qu'un leurre.
Voici un film qui peut mieux nous faire comprendre à nous autres, occidentaux, héritiers des pires colonialistes, qu'il n'est pire chose que l'exil forcé, et pire encore le mépris, l'exploitation de ceux qui ont choisi de survivre à l'ombre de la terre. Le film de Taîeb Louhichi est un cri, un chant, un poème : un appel à la fraternité. Merci Taîeb, mon frère, si tu le veux bien!
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